Pepin ou Pépin, telle est la question !
- Zahra KURTI ARIFI

- 4 nov.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 4 heures
Chaque jour, en se rendant vers Saint-Louis, les élèves traversent la rue Pépin… ou devrait-on dire Pepin ? Que ce soit sur des moteurs de recherches ou même sur le site internet de la ville de Namur, on retrouve Pépin, pourtant sur la plaque bleue, elle s’appelle rue Pepin, sans accent, tout comme sur le site de l’école. Un simple détail ? Pas vraiment. Ce petit accent raconte une histoire, celle d’un personnage dont le nom a traversé les siècles pour s’inscrire dans la ville. La rue que l’on croit connaître par cœur se révèle alors bien plus mystérieuse. Sous nos pas, elle cache une énigme à résoudre. Il suffit, pour une fois, de lever les yeux… et de commencer à enquêter.
On croit spontanément que la rue Pépin rend hommage à l’un des grands qui ont marqué la naissance de la dynastie carolingienne des Pépinides : Pépin de Landen, conseiller influent des rois mérovingiens au VIIᵉ siècle ; Pépin de Herstal, puissant chef austrasien dont l’autorité s’étendait sur une grande partie de la vallée mosane ; ou encore Pépin le Bref, premier roi carolingien à porter la couronne. L’idée semble d’autant plus logique que Namur se situe précisément dans cette zone où l’influence des royaumes francs fut forte. Des lieux voisins rappellent d’ailleurs la mémoire carolingienne, et l’on sait que Pépin de Herstal avait des possessions à Jupille, non loin d’ici.
À cela s’ajoute une petite énigme orthographique qui entretient l’hypothèse : la rue est nommée Pépin sur les plaques officielles, Pepin sans accent sur certaines cartes modernes ou documents administratifs, tandis que les sources anciennes en néerlandais évoquent parfois Pepijn, ce qui pourrait laisser croire à une simple évolution linguistique du même nom au fil des siècles.
À première vue, tout concorde : un nom d’illustre personnage, un territoire historiquement lié, et un jeu d’orthographes qui pourrait simplement refléter le passage du latin vers le français et le néerlandais. Beaucoup d’élèves, comme beaucoup de Namurois, en restent là. Et pourtant…
La rue Pépin n’a en réalité aucun lien avec les Pépinides carolingiens. À la différence de Pepinster, dont l’origine est effectivement rattachée à Pépin de Herstal.
Continuons nos recherches puisque d’autres pistes, viennent brouiller les certitudes. Car un nom n’est pas toujours le souvenir d’une personne : il peut naître d’un paysage. On le voit ailleurs, bien loin de Namur, avec l’ancien podio pino, « la colline du pin » en vieux français, devenu au fil des siècles Peypin. Ici, ce n’était ni roi, ni chef de guerre, mais simplement un bout de terre planté d’arbres qui a façonné le nom du lieu. Une transformation lente, presque invisible, résultat de siècles de langue parlée plutôt que de décisions historiques. Cette possibilité rappelle que Pépin pourrait tout aussi bien être, à l’origine, un mot commun, une description du terrain, un geste de langue qui a fini par se figer.
À l’autre bout du spectre, certains noms se transmettent par des vies individuelles. Le nom Pépin apparaît par exemple chez Louis Auguste Pépin, né en 1861 à Angre un village situé dans la province de Hainaut qui aujourd’hui fait partie de la commune de Mons.
Figure active du mouvement ouvrier wallon et membre du Parti Ouvrier Belge, il n’a rien à voir avec les Carolingiens. Une preuve que le patronyme circule dans la région, qu’il vit, qu’il s’inscrit dans les discours, les journaux, les décisions publiques. Le nom n’est plus seulement un vestige médiéval : il appartient à l’histoire sociale, politique, et locale.
Entre ces possibilités — le paysage, l’homme illustre, l’homme du peuple — le nom oscille et le doute subsiste. L’orthographe elle-même semble hésiter, comme un indice laissé à moitié. Pépin avec accent sur les plaques, Pepin dépourvu d’accent sur certaines cartes modernes, Pepijn dans les textes néerlandais : un même nom qui change légèrement de forme selon la langue, le contexte, l’époque. Cette variation n’est pas un hasard. En français, c’est Pépin ; en néerlandais, Pepijn. La cohabitation des deux langues dans l’histoire de la région laisse ses traces jusque dans les lettres gravées sur les murs.
L’étude approfondie des sources permet aujourd’hui d’affirmer avec force que la rue nommée Rue Pepin à Namur rend hommage à Nicolas Lambert Pepin. Le document intitulé Liste nominative des citoyens décorés de la Croix de Fer répertorie clairement : « 1137. PEPIN (NICOLAS), docteur en médecine, à Namur. Un des principaux chefs du mouvement qui éclata à Namur, le 1er octobre 1830 ; à l’attaque des postes, il était à cheval, le drapeau national à la main, incitant le peuple au combat. » Cette mention atteste non seulement de sa profession, mais également de son rôle actif lors de l’insurrection belge de 1830 à Namur, où il s’illustra par son courage et son engagement envers la liberté et la ville.
Pour renforcer ce fait, l’acte de mariage de sa fille, célébré le 10 décembre 1846 à Bruxelles, mentionne explicitement « fille légitime de Nicolas Pepin, docteur en médecine, domicilié à Namur ». Cet acte officialise trois informations cruciales : sa qualité professionnelle, son domicile à Namur et son rôle de patriarche d’une famille reconnue socialement. Le mariage, célébré hors de Namur, souligne également le statut respectable de la famille et son rayonnement au-delà des frontières de la ville. Le fait que les témoins venaient de Namur et étaient mentionnés dans l’acte montre que Nicolas Pepin jouissait d’un certain prestige local et d’une influence sociale notable.
En croisant ces données — la mention dans la liste des décorés de la Croix de Fer et l’acte de mariage de sa fille — il devient évident que la municipalité ou les autorités locales ont choisi de baptiser cette rue en son honneur. L’objectif n’était pas de rappeler un roi lointain, mais de célébrer un citoyen namurois engagé, médecin respecté habitant la rue Bavière à un jet de pierre de la rue Pepin, défenseur de sa ville et figure historique locale. La Rue Pepin devient ainsi un lien tangible avec l’histoire de Namur, un rappel discret mais permanent de ceux qui ont façonné la ville de l’intérieur, avec un impact bien réel.
Pépin ou Pepin, telle était la question ! Après avoir déterminé l’origine, les différents actes historiques nous livrent la réponse. L’accent aigu est bien utilisé sur différents mots et noms, mais jamais sur le nom de famille de Nicolas Lambert Pepin ou des membres de sa famille.
Ainsi, chaque fois que vous empruntez la Rue Pepin, sans accent, vous traversez bien plus qu’un simple trottoir ou un alignement de maisons : vous marchez sur l’histoire d’un homme qui a donné de son temps, de son énergie et de son courage pour sa ville et pour son pays. La rue, désormais, n’est plus seulement un nom sur une carte, mais un hommage vivant à Nicolas Pepin, un symbole d’engagement et de mémoire locale qui invite chacun de nous à se rappeler que l’histoire de Namur se construit aussi à travers les vies de ceux qui, comme lui, ont osé agir pour le bien commun.
Rédacteurs : Zahra Kurti Arifi 6e A en collaboration avec
M. Gys, directeur de Saint-Louis.




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